Vintimille au Nord de Lampedusa

Marta Bernardini et Francesco Piobbichi

Lampedusa, Agrigente (NEV), 17 juin 2015 – Pour ceux qui habitent sur la frontière, comme nous à Lampedusa, voir les scènes et les images de Vintimille nous fait réfléchir.

Tout d’abord parce que cela nous confirme que la majeure partie des migrants n’ont aucune intention de rester en Italie, à l’inverse de ce que nous racontent les médias. D’ailleurs, Istat a très récemment prouvé que le nombre de migrants qui s’installent dans notre pays est en baisse tandis que les Italiens qui quittent le pays sont de plus en plus nombreux, à cause de la crise économique. Puis parce que ce que nous disions se voit confirmer, c’est à dire qu’une fois les personnes débarquées sur cette île, elles sont imprégnées de la « frontière », marquées à vie par ces dispositifs militarisés et hostiles : la preuve à Vintimille. La frontière et ses dispositifs accompagnent où qu’elle aille, toute personne qui les traverse. Ponte Mammolo, la gare de Milan, la frontière italo-française à Vintimille ne sont rien d’autre que la suite de ce que nous voyons nous à Lampedusa. Une frontière qui se propage dans les peurs collectives, comme sur les titres de journaux. La peur de la galle par exemple, qui se soigne facilement en quelques jours, est devenue l’excuse principale avec laquelle les médias construisent la séparation sociale entre « nous » et « eux ». La semaine dernière nous écrivions sur la pauvreté qui se masse à la frontière, sur le fait que un des premiers droits qui est retiré à celui qui arrive est celui de la liberté de mouvement. Une liberté qu’ils cherchent, pourtant, à atteindre grâce à leur corps, instruments dont ils se servent en manifestant contre les frontières et l’exclusion. Ils le font en désobéissant pacifiquement au système législatif européen, une désobéissance spontanée contre les lois qui sont intrinsèquement injustes. Ce qu’il se passe à Vintimille, ainsi, n’est rien d’autre qu’une dénonciation contre les règles inadéquates de Dublin, contre la logique des frontières européennes. Hier, tandis que que nous considérions les images de la ville de Vintimille, transformée en une étape à franchir comme l’est Lampedusa depuis des décennies, nous regardions les photographies de Bulent Kilic de la frontière entre la Syrie et la Turquie tout en apprenant qu’un garçon de 18 ans venait de trouver la mort à Melilla alors qu’il cherchait à passer une autre barrière. Images et nouvelles qui composent la mosaïque d’un phénomène migratoire qui n’a jamais été aussi intense depuis la deuxième Guerre Mondiale. Pendant que nous écrivons cet article, nous ne savons pas encore comment s’est passé le sommet des ministres européens. En lisant les premières nouvelles, il ne nous semble pas que les choses aient réellement changé, étant donné qu’aucun accord entre Etats européens n’a été fait afin de redistribuer réellement les quotas des réfugiés et des demandeurs d’asile, d’ailleurs on continue à parler de nombres et non de personnes. Ce qui nous paraît évident est que, encore une fois, les pays comme la France, qui ont contribué avec leurs politiques militaires à dévaster des nations entières, continuent à envoyer leurs forces de l’ordre pour empêcher des innocents de rejoindre leur propre famille. En ce moment avec nous à Lampedusa, nous avons une jeune stagiaire de la Sorbonne, Gabrielle Bécard, qui assiste de loin à ce qui se passe à la frontière avec son propre pays et elle nous raconte : « Les images de Vintimille m’ont fait penser à ce qu’il s’est passé, début juin, à Paris dans le 18ème arrondissement, où plusieurs camps de migrants ont été évacué malgré l’indignation de certains citadins présents pour défendre les migrants ». L’expérience que Gabrielle est en train de vivre à Lampedusa lui a permis de d’appréhender de manière plus concrète le système des frontières : « J’ai l’impression – continue Gabrielle – qu’il y a un fossé immense entre les décisions politiques, les actions de la police et ceux qui vivent en première ligne l’expérience « de la frontière », pas seulement les migrants mais également la population locale qui assiste en avant-première aux conséquences de ce qui a été décidé ailleurs. Malgré la violence et le climat d’intolérance que j’ai pu noter pendant les évacuations à Paris ou à travers les photos de Vintimille, j’ai également constaté la présence d’une grande humanité, surtout à Lampedusa, qui est encore sensible et prête à se battre pour la dignité de ceux qui arrivent en Europe. » La frontière s’imprime sur les corps, se déplace avec ceux qui la traversent, que ce soit le désert, la Libye, la Méditerranée, Lampedusa, la frontière turco-syrienne ou Vintimille. Traduction de Gabrielle Bécard

MH
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